Benoît Auclerc

En rééditant Sexe, race et pratique du pouvoir de Colette Guillaumin, les éditions iXe rendent à nouveau accessible un livre fondateur des études féministes, paru une première fois en 1992 mais depuis longtemps indisponible.

Dans Sexe, race et pratique du pouvoir, qui regroupe des essais écrits entre la fin des années 70 et le début des années 90, Colette Guillaumin analyse en sociologue et en militante (qui n’hésite pas à dire «nous» ni à revendiquer une réflexion de combat) la fabrication des notions de race et de sexe, et l’analogie entre les deux processus. Le sous-titre, «l’idée de nature», en indique la direction : c’est cette idée, finalement récente (elle date du XVIIIèmesiècle), qui permet de présenter comme évidentes des catégories construites (comme le sexe et la race), sur lesquelles s’appuie une certaine «pratique du pouvoir», pratique de domination.

Car, Guillaumin a été l’une des premières à le montrer, la «race» est d’abord une catégorie sociale, «un fait historique, banalement», fabriqué pour justifier l’appropriation de certains corps. Cette appropriation physique directe est pour Guillaumin à l’œuvre aussi dans les rapports sociaux de sexe : elle l’appelle «sexage», comme on parle de servage ou d’esclavage – manière radicale de dénaturaliser, justement, notre rapport à la catégorie de sexe, proche de celle élaborée au même moment, et à ses côtés, par d’autres féministes matérialistes comme Nicole-Claude Mathieu, Monique Wittig, Paola Tabet, Christine Delphy.

Peut-il y avoir un amour sans domination ?

Ces pages, pour la lectrice, le lecteur d’aujourd’hui, continuent de jouer comme un révélateur de processus qui nous crèvent les yeux mais que nous ne voyons pas toujours. Elles nous posent aussi des questions : puisque ce qu’on appelle «amour» participe objectivement de ces processus de domination, que faire de ce qui malgré tout nous affecte, nous meut, fait de nous des êtres désirants ? Et lorsqu’on aime une personne réputée du même sexe, échappe-t-on pour autant à cette «pratique du pouvoir» inégalitaire ?

On mesure aussi le chemin parcouru. Guillaumin en vient ainsi à évoquer «la politique, ou la théorie, du “sexe”» : voilà le «sexe» non plus considéré comme une évidence naturelle, mais comme une théorie, alors que c’est aujourd’hui le camp d’en face (qui voudrait bien restaurer la naturalité des inégalités) qui tente, désespérément, de ne faire du genre qu’une «théorie». Pas de quoi triompher pour autant, si on entend une autre leçon de ce livre : c’est parce qu’elles sont «solidaires» que les consciences des opprimés se font entendre. Utile, en ces temps où les racistes de tous bords essaient de se faire passer pour des féministes et des amis des LGBT…

Hétéroclite