Cécile Exbrayat

Lectrices, lecteurs! Écriture inclusive mode d’emploi

Pire que l’affaire Dreyfus en son temps, on a trouvé LE sujet pour vous fâcher avec votre famille, vos collègues et même… votre meilleur·e ami·e. Il tient en deux mots: écriture inclusive. Y a-t-il là “péril mortel” comme l’ont crié à l’unisson la presse conservatrice et l’Académie
française, “police de la langue” s’il en est? Certes non. C’était il y a un peu plus d’un an, lorsque les éditions Hatier publiaient le premier manuel scolaire utilisant un langage inclusif. Comment expliquer pourtant qu’il suscite encore tant de réticences ? C’est sans doute parce que les débats autour de ce sujet sont biaisés et reposent sur des idées reçues. Éliane
Viennot, professeuse émérite de littérature française de la Renaissance, les déconstruit une à une dans un petit livre remarquable, véritable vademecum sur le langage inclusif.
L’autrice (mot qui existait déjà au XVe siècle, du latin auctrix, équivalent féminin d’auctor “auteur”) rappelle tout d’abord que l’écriture inclusive ce n’est pas “féminiser” la langue française, laquelle possède déjà tout ce dont elle a besoin pour exprimer le féminin. C’est bien plutôt une attention particulière portée à “la place écrasante qu’occupe aujourd’hui le masculin dans ses usages courants”. Ce n’est pas une fin en soi, mais un moyen – parmi tant d’autres – de promouvoir l’égalité femmes-hommes.
Pour cela, les francophones peuvent s’appuyer sur les nombreuses ressources de la langue (doublets, épicènes…) et sur quelques innovations,
comme le fameux point du milieu. Celui-ci finira-t-il par nous sembler un jour aussi familier que les deux points, le point-virgule ou la cédille, lesquels suscitèrent aussi en leur temps des débats houleux? Seul l’usage le déterminera.
Éliane Viennot montre aussi comment la langue française est traversée depuis le XIIIe siècle par des mouvements de masculinisation qui
l’ont progressivement rendue inégalitaire. Ainsi, aussi étrange que cela puisse paraître, il a été naturel de dire peintresse, mairesse et même médecine pour désigner une doctoresse. Une ambassadrice était une femme envoyée en ambassade et non la femme de l’ambassadeur. On se passait très bien du “il” en disant “Ça pleut” et “Faut partir”! Et on accordait “à l’oreille”, ce qui faisait encore dire à l’Athalie de Racine: “Armez-vous d’un courage et d’une foi nouvelle” malgré les tentatives de l’Académie royale de renforcer la domination du “genre
le plus noble”.
Aujourd’hui, le masculin peut-il encore l’emporter sur le féminin? Sommes-nous contraint·e·s de perpétuer cet héritage ? Ce livre, aussi clair et concis que passionnant, nous donne les moyens d’y réfléchir. Il nous rappelle que notre langue, ce bien commun, deviendra ce que nous en ferons.
L’US Mag. Supplément au n° 785 de janvier 2019, p. 37.