Charlotte Sapin

C’est riche de son expérience personnelle, de longues recherches et des nombreux témoignages qu’elle a recueillis que la sociologue, économiste, militante Françoise Flamant retrace quarante-cinq années d’une geste féministe et lesbienne dans son livre Women’s Lands.

Ce document passionnant revient sur le parcours de pionnières qui, partant du constat de la condition de la femme, initièrent dès 1970 un mouvement basé sur le séparatismed’avec la société mixte créée et dirigée par et pour les hommes. Lasses de ce système patriarcal réduisant leur rôle à une peau de chagrin pour le moins dévalorisante, des cohortes de femmes optèrent pour le retour à la terre et fondèrent dans des contrées reculées du sud de l’Oregon une vingtaine de communautés : WomanShare, Rootworks, Cabbage Lane, Mountaingrove, Fly Away Home, OWL Farm, Rainbow’s End, Rainbow’s Other End… Des îlots de vie collective qui, à l’heure actuelle, malgré la disparition de certains fragilisés par la mouvance du monde, se maintiennent et continuent d’évoluer pour répondre aux attentes des nouvelles générations et aux tendances contemporaines ; le radicalisme séparatiste originel s’orientant davantage désormais vers le maintien ou retour à la société mixte afin de lui faire intégrer une pratique écoféministe de relations égalitaires à l’échelle planétaire et de préservation des ressources naturelles.

L’auteur, l’une d’entre elles, retrace cette épopée initialement dévolue au féminisme, mais ayant rapidement évolué pour devenir indissociable du militantisme consacré au lesbianisme et à l’écologie. Du contexte d’hier à celui d’aujourd’hui, en passant par la naissance de l’idéologie, le passage à l’action et l’éclosion de ces sororités, Françoise Flamant explore ce qui s’apparentait à la création d’un véritable nouvel art de vivre dont les avantages pour ses membres étaient une vie sociale intense assise sur la solidarité, l’entraide, l’échange des savoirs et surtout la sécurité. Mais toujours aussi la lutte, évidemment, contre l’homophobie ou pour le droit à l’avortement par exemple. Sans compter l’apparition du Sida

Loin de verser dans l’hagiographie de ce projet ambitieux, l’écrivain le dissèque, dans ses réussites comme dans ses failles (désaccords, rancœurs, frustrations…), donnant voix aux bilans contrastés de diverses activistes présentes ou révolues. Elle décrit la construction et les aménagements de ces villages et l’érigation* de cette nouvelle culture en quête des meilleurs choix pour réussir le défi du vivre ensemble. Féminisation du langage, naturisme, spiritualité inspirée par la Terre et le Cosmos ou encore médecine traditionnelle sont quelques-unes des options retenues par la plupart des clans.

Ce recueil illustré en noir et blanc démontre qu’il est toujours possible de prendre son destin en main, que le rêve d’utopie n’a rien de risible, de ridicule et de perdu d’avance et que ceux que l’on appelle de doux rêveurs sont, quand ils agissent, des gens courageux car il en faut ô combien pour mener ces difficiles aventures à terme. Beaucoup de courage, de travail et d’ingéniosité !

En faisant le récit de ces terres utopiques, l’auteur contribue aux diverses initiatives consacrées au travail de mémoire de ces Lands, dans le but de les faire connaître, perdurer et de les léguer malgré des perspectives incertaines.

Parfaitement recontextualisé, cet essai fluide et accessible qui a valeur d’hommage consacré à un sujet captivant est l’occasion de découvrir une réalité méconnue fascinante et de réfléchir à la place actuelle de la femme dans le monde et aux combats restant à mener. Cette contribution importante à l’histoire du féminisme et de l’homosexualité féminine par le biais de l’engagement puissant des habitantes ou visiteuses de passage des Lands ne peut légitimement pas tomber dans l’oubli tant il est riche d’enseignements. Un livre essentiel.

Adepte du livre