Mithrowen

Le féminisme est pour moi, avant d’être un mouvement dont le but est d’atteindre l’égalité politique, économique, culturelle, personnelle, sociale et juridique entre les femmes et les hommes, un vrai concentré de liberté. Une liberté qui, malgré les esprits chagrins, nous concernent tous, hommes et femmes, ainsi que les personnes qui ne s’identifient pas à ces catégories.

Cependant, ce que l’on oublie souvent, en tant que féministe vivant dans un pays du Nord, c’est qu’être une femme reste plus facile qu’ailleurs. Ne vous méprenez pas! Il y a encore, chez nous, des centaines de choses à améliorer, notamment en matière de discrimination implicite dans le cadre légal et en matière de préjugés et de croyances sur les sexes. De plus, ces dernières années, on ne peut ignorer un certain backlash avec toutes sortes d’organisations qui essayent d’imposer leur vision rétrograde (masculinistes, religieux fondamentalistes, etc.). Cependant, on ne saurait comparer la vie d’une jeune femme en Europe et la vie d’une jeune femme en Inde. Particulièrement en ce qui concerne son autonomie par rapport à son corps, c’est-à-dire son droit et sa possibilité de dire oui, de dire non, de choisir ce qu’elle en fait personnellement et professionnellement. Pour être plus clair, je vous propose quelques exemples en matière de contrôle des naissances, de prostitution et de travail rémunéré. Ces exemples sont tirés du recueil «Le féminisme à l’épreuve des mutations géopolitiques». Cet ouvrage réunit divers articles (traitant, par exemple, du féminisme dans les pays musulmans, de racisme, de l’avancée et du recul des droits des femmes, de l’élimination des filles, du salariat, etc.).

Contraception et avortement¹

La contraception est, sans aucun doute, un des plus grands vecteurs de liberté que les femmes aient pu connaître. Il en est de même pour la légalisation de l’avortement (principalement dans les pays du Nord, à l’exception de certains états américains ou encore l’Irlande ou la Pologne). La combinaison de la contraception et de l’avortement donne de l’autonomie et du pouvoir aux femmes, car cela leur permet de décider de l’arrivée d’un enfant et surtout d’avoir la même liberté dans leur sexualité que les hommes. Un pouvoir qui est d’ailleurs dénoncé à la fois dans les pays du Nord et du Sud; au Sud, on parle de débauche des femmes; au Nord, de femmes irresponsables qui avortent. Cependant, que l’on soit dans un pays du Nord ou du Sud, on perçoit un modèle à quatre variables auquel les femmes doivent se conformer pour réussir (ce modèle est imposé parfois par la société, parfois par l’état, parfois par les deux):

-Réussir sa vie

-Être une vraie femme

-Être une bonne mère

-Avoir le bon nombre d’enfant

Evidemment, en fonction du pays dans lequel une femme réside, la façon de remplir ces critères sera très différente. Cependant, quel que soit le pays, il y a un modèle auquel les femmes doivent se conformer. De plus, malgré l’autonomie donnée aux femmes par la contraception et l’avortement, la naissance d’un enfant remet les compteurs à zéro (ou plutôt à -1 pour les femmes)…

Prostitution et exploitation sexuelle internationale²

La prostitution est probablement l’un des débats les plus houleux dans les rangs féministes. Est-ce un choix, corollaire du corps qui appartient à la femme et qui a le droit de le marchandiser? Ou la prostitution est-elle une des expressions de la domination masculine sur les femmes? Au vu des difficultés économiques qui poussent souvent les femmes à faire ce choix, au vu de leur provenance en grande majorité étrangère et au vu de la domination sociale vécue par les personnes sur le marché de la prostitution (femmes, homosexuels, personnes trans), dire que la prostitution est un réel choix paraît abusif. L’exemple de la Hollande, où la prostitution est totalement légale, est parlant et paradoxal. Effectivement, le pays finance des programmes internationaux contre la traite des êtres humains, mais l’industrie du sexe hollandaise est justement alimentée par des femmes venant de pays pauvres, via des réseaux parfois gérés par la criminalité internationale. En conclusion, concernant la prostitution, il faudrait plutôt réfléchir en matière de réduction de l’autonomie et des perspectives de certains individus dans la société et non en termes de pure choix.

La mondialisation du care³

Le soin, la prise en charge d’autres personnes (enfants, personnes âgées) est un travail essentiellement féminin dans le monde entier, particulièrement la partie non ou peu qualifiée de ce travail. En France (mais dans beaucoup de pays du Nord également), ce domaine est mondialisé et lié à deux phénomènes: des femmes du Sud forcées de quitter leur pays et un gros besoin de main-d’oeuvre dans le domaine du care dans le Nord. Mais, plus que ça, il est le reflet des contraintes imposées aux femmes du Sud et du Nord. Les femmes du Sud qui s’engagent dans le care ont rarement le choix: c’est un domaine féminin, demandeur en main-d’oeuvre et où l’on peut être engagé avec peu ou pas de formation. En général, ce travail de care que les femmes du Sud reprennent professionnellement est, en fait, le travail d’une autre femme, une femme du Nord. Effectivement, cette femme occidentale a besoin qu’une femme du Sud reprenne ce travail, pour qu’elle puisse elle-même s’investir dans un travail productif. Mais cette relation n’est pas qu’une histoire de transfert de travail entre femmes. Cette relation est aussi la conséquence du non-investissement des hommes dans le care et les tâches quotidiennes. En résumé, la mondialisation et l’externalisation du carepermet le status quo pour les hommes et l’émancipation relative des femmes du Nord. Ce qui est à retenir: quand on parle d’égalité entre homme et femmes dans le monde du travail, il faut faire attention aux rapports Nord-Sud, car le manque d’autonomie des unes favorise l’autonomie relative des autres et favorise indirectement l’autonomie réelle des hommes.

En résumé, cette série d’articles (ainsi que ceux que je n’ai pas commentés) montrent l’importance d’avoir une perspective géopolitique et économique pour mieux comprendre la position des femmes dans la société. Effectivement, si les femmes à travers le monde partagent le poids de la domination patriarcale, il n’a pas les mêmes effets, ni les mêmes conséquences pour chacune. Un élément dont on devrait tenir compte dans l’élaboration de politiques publiques ou de lois touchant particulièrement les femmes, ici et ailleurs. 

La dent dure